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L’Artemisia, (faux) espoir contre le Coronavirus ?

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Rempart au Coronavirus selon le président malgache, incontournable en Chine, interdite à la vente en France, l'Artemisia soulève la controverse sur son efficacité et son innocuité.

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Une équipe éditoriale spécialisée en nutrition. Auteurs du livre Les aliments bénéfiques (Mango Editions) et du podcast Révolutions Alimentaires.

Elles poussent sur les terrains vagues, au bord des routes et peut être juste devant chez vous. On les cueille et on les consomme sur tous les continents. Très communes, les plantes de la familles de l’armoise sont aussi  des classiques de la physiothérapie et ce depuis l’antiquité. Leurs noms scientifiques, Artemisia, est d’ailleurs emprunté à Artémis, farouche déesse de la nature sauvage, à qui les grecs anciens prêtaient le pouvoir de répandre les épidémies… et de les arrêter. L’antidote au Coronavirus pousserait-il au bord de nos routes ?

Le 20 avril dernier, le président malgache déclarait avoir identifié l’Artemisia annua comme remède miracle contre le nouveau coronavirus et annonçait sa distribution à la population sous forme de sachets d’infusion contenant des feuilles séchées, ou de boisson déjà préparée, baptisée “Covid-Organics”. 

Le président Andry Rajoelina présente la plante comme une barrière bon marché et facile d’accès face au coronavirus, en particulier pour les populations africaines. Son pays est d’ailleurs un gros producteur d’Artemisia annua, et la plante est étudiée depuis des années par l’Institut malgache de recherche appliquée (IMRA), reconnu pour ses recherches sur les médecines traditionnelles et les maladies tropicales. L’initiative est relayée en France par la Maison de l’Artemisia, association humanitaire engagée dans la promotion de la plante et de ses usages. 

L’OMS réservée quant à son efficacité dans le cadre de la covid-19

Véritable coup de communication politique, la déclaration malgache a suscité l’emballement. Elle a cependant été aussitôt critiquée par l’Organisation Mondiale de la Santé. Pour l’institution, le “Covid-Organics” pourrait donner l’illusion d’une protection contre le virus et provoquer le relâchement dans le respect des gestes barrière. Le 4 mai, l’OMS publiait un communiqué dans lequel elle exprimait ses réserves sur l’efficacité de l’Artemisia. Sans écarter d’éventuels bienfaits de la plante, l’organisation invitait à attendre les résultats d’essais cliniques rigoureux. 

Le même jour, l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM) se montrait plus catégorique, rappelant que les remèdes à base d’Artemisia Annua restent interdits à la vente en France, faute d’efficacité reconnue. 

Si elle manque d’assise scientifique, l’annonce malgache a néanmoins attiré l’attention sur une piste thérapeutique prometteuse. Le 8 avril, l’Institut Max Planck, structure de recherche allemande basée à Potsdam, annonçait d’ailleurs le lancement d’une étude cellulaire afin de tester les effets de l’Artemisia annua sur le SARS-COV-2. 

En effet, l’Artemisia a déjà prouvé son efficacité contre un autre coronavirus, le SARS, dont l’épidémie avait frappé la Chine au début des années 2000.  En mars, la prestigieuse revue Nature soulignait le potentiel antiviral de nombreuses plantes de la pharmacopée chinoise, dont l’Artemisia.

Plus précisément, une étude chinoises publiée en 2005 et comparant les effets de 200 remèdes à base de plantes arrivait à la conclusion que l’armoise annuelle était la seconde plante la plus efficace dans la lutte contre ce premier coronavirus. Ceci sans que les mécanismes à l’oeuvre ne puissent cependant être clairement décryptés. 

Un risque de tensions d’approvisionnement

Fort de cette expérience, les services de santés chinois ont d’ailleurs repris la prescription de remèdes à base d’Artemisia dans le cadre de la lutte contre le nouveau coronavirus. La plante est notamment utilisée aux stades les plus précoces de l’infection, et en complément de médicaments issus de la médecine moderne. 

Sous le feu des projecteurs, la présidence malgache a annoncé la suspension de ses exportations d’Artemisia et la constitution de réserves stratégiques, bien décidée à faire de la plante un levier diplomatique et économique.

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© Kristian Peters — Fabelfroh 

En cette période d’anxiété, propice aux effets d’annonces et à la prolifération de fakes news, l’OMS rappelle que l’Artemisia rentre dans la composition de nombreux médicaments qui n’ont rien à voir avec le Coronavirus, et que l’emballement actuel autour de la plante risque de les détourner de leurs usages et provoquer des tensions dans leur approvisionnement. 

En effet, véritables cocktails de principes actifs, les armoises ne sont pas seulement antivirales, elles sont aussi antibactériennes, antispasmodiques, vermifuges et surtout, antiparasitaires. On estime que plusieurs centaines de millions de personnes à travers le monde se soignent aujourd’hui en utilisant les armoises, tant à travers des techniques traditionnelles qu’à travers la médecine moderne. 

Les armoises, de la médecine traditionnelle aux médicaments contre le paludisme

En Chine, l’armoise annuelle (Artemisia Annua) est un incontournable de l’herboristerie traditionnelle, utilisée en infusion ou en macération pour calmer notamment les fièvres et les infections pulmonaires. C’est à partir d’elle qu’a été isolée l’Artémisinine, molécule désormais utilisée dans de nombreux médicaments antipaludiques à travers le monde, en alternative ou en complément à la chloroquine.

Inspirée par les savoirs-faires traditionnels, l’étude de ces propriétés a même valu à la chercheuse chinoise Tu Youyou le prix nobel de médecine en 2015. C’est cette variété qui est aujourd’hui scrutée avec attention dans la lutte contre le Coronavirus. 

En Afrique, l’Artemisia Afra, est cultivée dans la plupart des pays du continent. Elle est devenue un outil bon marché de lutte contre le paludisme, du fait de ses propriétés antiparasitaires. Et ce, en dépit de réserves de l’OMS. 

En France, une plante médicinale et un alcool sulfureux

En France, l’armoise commune (Artemisia Vulgaris) ressemble beaucoup à l’ambroisie, prenant la forme de petits buissons odorants, qui fleurissent en fin d’été. Ses propriétés étaient connues des gaulois, utilisée pour soulager la fatigue, les problèmes gastriques, des tensions musculaires ou les règles douloureuses.

Au grès des époques et des régions, ses nombreux surnoms (ceinture de Saint-Jean, herbe aux cent goûts, herbe, herbe de feu…) témoignent de sa constante utilisation par la médecine populaire mais aussi en cuisine, notamment pour parfumer et attendrir les viandes. 

Facile à planter ou à trouver à l’état sauvage, on profitera du printemps pour cueillir de jeunes pousses d’armoises et parfumer salades et omelettes. En fin d’été, on ramassera et séchera ses feuilles pour en faire des infusions. Attention toutefois, si elle possède de nombreuses vertus, l’artemisia peut aussi se révéler toxique à forte dose, aussi nous garderons nous des cures prolongées et prendrons garde aux contre-indications (femmes enceintes notamment). 

Notons d’ailleurs que c’est de la distillation d’une autre variété d’armoise, l’Artemisia absinthium, qu’est tirée l’absinthe, alcool redoutable et longtemps interdit en France. “La juste mesure”, nous disaient déjà les grecs.

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